ROMANO GUARDINI: LE SEIGNEUR2 vol., Paris, Alsatia, 1945Le royaume de Dieu est là où Dieu règne. Qu'est ce qui a de l'influence sur moi, qui règne en moi? Surtoutdes hommes: ceux qui me parlent que je lis, que je fréquente, qui me donnent ou me refusent, m'aident ou merésistent, ceux que j'aime, auxquels je suis obligé, dont j'ai soin, que j'influence. Ce sont eux qui règnent enmoi. Dieu n'entre en ligne de compte en moi que malgré les hommes, dans la mesure où il me reste du tempsquand je leur ai donné satisfaction, dans la mesure où leurs exigences permettent à mon attention de sedétourner d'eux. Dieu ne règne que dans la mesure où la conscience que j'ai de lui réussit à s'imposer à moimalgré les hommes, à travers et à côté d'eux.Il y a aussi des choses qui règnent en moi: celles que je convoite, celles qui me gênent, celles que jerencontre partout parce qu'elles provoquent, inquiètent, absorbent mon esprit. Les choses, parce qu'ellesremplissent l'espace extérieur et intérieur, règnent en moi, elles et non Dieu. Dieu ne règne que dans lamesure où il peut se faufiler derrière où à travers les choses, dont la multitude emplit tout. En vérité, Dieu nerègne pas en moi. Tout arbre que je rencontre sur ma route, semble avoir plus de réalité que Dieu, ne serait-ce que parce qu'il me force à l'éviter.Qu'en serait-il si Dieu régnait! Alors, je saurais, non par une déduction, mais de moi-même, directement, parune rencontre permanente et vivante, qu'il est. Il est Lui, au-dessus de tout nom et de tout concept humain.Comme je sais ce que je dis quand je parle d'une prairie dont je sens la fraîcheur; comme je prendsconscience d'un homme que je rencontre, Dieu occuperait le centre de mon esprit, sa réalité perçue par moi àtous les instants serait le point de départ, l'âme et le but de tout. Mon cœur et ma volonté le saisiraient dansune expérience continuelle comme le Saint qui juge toutes les valeurs et Bien absolu qui donne aux chosesleur bonté relative; comme celui qui seul r...